17 Octobre 1816

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One element readers may immediately notice here is the absence of an issue number, making it difficult for us to know precisely where this issue fits within the larger context of the publication of the newspaper in 1816.  Nevertheless, the opening article discusses a ship from England that has recently made port in Haiti carrying, among other people, Prince Saunders, the noted black abolitionist from the northern U.S. There is also mention of Christophe’s desire to set up the Haitian school system using the Lancaster method, thereby introducing British education and “the English language to Haiti.” A subsequent article praises the King’s Code Henry by claiming that it eliminated to the “very last vestige” all remaining remnants of the colonial code of rule. The result is that Haitians are now different “men” and a different “people” than they were in 1789 or even immediately after independence. The construction of the Citadel as a monument to Haitian independence is also proclaimed. The issue finishes with a reprint of a long passage from Vastey’s Réflexions sur une lettre de Mazères (1816), which describes the cruelty of the French colonists. Notably, Vastey briefly recalls the tale of Sanite Belair, the “brave heroine,” who was cruelly executed by the French along with her husband, the Haitian revolutionary, Charles Belair.

*Provenance: National Library of Denmark (Courtesy of Julia Gaffield)

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L I B E R T É ,   I N D E P E N D A N C E   O U   L A   M O R T.

G A Z E T T E   R O Y A L E   D’ H A Y T I ,

Du 17 Octobre 1816, treizième année de l’Indépendance.

                                                                             

L’union fait la Force.

                                                                             

Du Cap-Henry, le 10 Octobre

La goëlette anglaise Cathérine Anna, capitaine N. Thompson, sortant de Londres en vingt-sept jours de traversée, est arrivée le 21 du mois dernier.

M. Prince Saunders ainsi que quatre Messieurs sont venus passagers sur cette goëlette.

Sa Majesté, notre très-auguste et bien aimé Souverain, s’occupe sans relâche des moyens à employer, pour introduire dans le royaume, l’instruction publique.

On prépare dans ce moment, au Cap-Henry, de très-beaux locals destinés pour l’établissement des écoles nationales, sur le plan et la méthode de Lancaster. Dans les différentes villes du royaume il sera formés de pareilles établissemens.

Sa Majesté a fait un accueil distingué aux Professeurs, Artistes et Maîtres d’écoles qui sont venus pour se fixer à Hayti, pour enseigner la jeunesse ; ils ont été traités honorablement et le gouvernement leur a alloué de bons appointemens.

Le projet du Roi est d’introduire l’éducation et la langue anglaise à Hayti.

Combien ne devons nous pas applaudir aux grandes intentions de Sa Majesté; elle veut faire au peuple haytien le plus beau présent qu’il est possible de lui donner, celui de l’éducation. Il est instant que nous abandonnions les mœurs et les habitudes françaises, pour prendre les mœurs et les manières anglais, de ce peuple brave et généreux, ami de la liberté ; il est instant que nous recevions une éducation vraiment nationale qui enseigne à nos enfants dès leur bas âge à chérir et à idolâtrer nos rois, notre liberté et notre indépendance ; et nos progrès dans les sciences et les arts confondront à jamais nos détracteurs.

Nous avons lu dans plusieurs gazettes anglaises que nous avons reçues de Londres, par la goëlette Cathérine Anna, que les armemens, et expéditions faites par les espagnols de Carthagène, contre les royalistes de la Terre-Ferme avaient eu lieu dans le royaume d’Hayti ; il nous semble, et la justice exige, que l’on ne devrait jamais confondre les opérations et les démarches impolitiques de Pétion avec la conduite sage et mesurée du gouvernement de Sa Majesté ; nous croyons devoir faire connaître à nos lecteurs étrangers que par nos lois, le gouvernement ne peut se mêler dans les affaires de nos voisins ; les intentions formelles de Sa Majesté sont de ne jamais permettre qu’il soit fait dans aucun des ports du royaume, soumis à l’autorité royale, aucun armement ni expédition, soit en faveur ou contre nos voisins, étant résolue de garder la plus parfaite neutralité dans les affaires du dehors.

On a été jusqu’à dire que l’on avait vu nos bâtimens de guerre cingler vers les îles du vent. [et ce méchamment, lors de l’insurrection de la Barbade] c’est un mensonge avéré ; car nos bâtimens de guerre, depuis long-temps, ne s’occupent qu’à faire le cabotage, et transporter les

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denrées du gouvernement dans le port de la capitale ; s’ils sortent quelquefois armés en vue de l nos ports, ce n’est que pour protéger le commerce étranger lorsqu’il est menacé par les pirates.

Nous pouvons affirmer que les corsaires cathaginois ne fréquentent nullement les ports du royaume ; que les haytiens, bien loin de vouloir s’expatrier pour servir d’instrumens à aucun parti quelconque, sont déterminés à rester paisiblement chez eux, où ils ont assez à faire pour consolider leur liberté et leur indépendance, sans qu’ils aient besoin d’aller se jeter imprudemment dans des entreprises contraires aux lois de leurs pays, et à leurs penchans naturels, et fortement prononcés de ne jamais abandonner leur sol natal.

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EUROPE

Nous avons reçu des gazettes de Londres, jusqu’au 22 Août, il paraît qu’il n’y a rien d’extraordinaire sur le continent d’Europe, sinon que la France s’efforce de lever une armée, et qu’elle fait des recrues de tous les côtés, dans la vielle et la nouvelle garde ; les généraux français du parti de Bonaparte ont été mis en activité par Louis XVIII. On se demande à Londres, contre qui sera dirigé cette armée ? La France aurait-elle en vue quelques entreprises ultérieures ? Nous ne sommes pas très-versés dans la politique ; mais que chacun fasse comme nous, et se tienne préparé à tout événement, c’est le vrai moyen de n’être pas surpris.

Un article de Bruxelles, du 5 Août, contient ce qui suit :

Il y a quelques jours qu’on écrivait de France que plusieurs anciens généraux qui ont servi dans les guerres de la révolutions, ayant été consultés sur les moyens les plus sûrs à employer pour faire revivre l’esprit guerrier de l’armée, ont recommandé quelques expéditions, par exemple une a S-Domingue (Hayti) ; mais il faut, disent-ils, donner à ces troupes les généraux en qui elles ont confiance.

Nous apprenons de Lille, qu’en outre les recrues que l’on fait pour l’armée et surtout pour la garde royale, un bureau particulier est ouvert pour enrôler les recrues destinées pour les colonies. Les régimens pour la Guadeloupe et la Martinique seront d’abord complétés : et ensuite on parle généralement de l’équipement d’une expédition contre St-Domingue, dans laquelle beaucoup d’anciens soldats eront bien aise de s’engager : pourquoi ne pas ajouter tous les ex-colons en général joindront l’expéditon ? Si Louis XVIII est si embarassé de ces grands faiseurs de plans, de ces anges exterminateurs, il ne peut mieux faire que de les envoyer à Hayti.

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Fin du Coup-d’œil Politique sur la Situation actuelle du Royaume d’Hayti

C’est au commencement d’une guerre civile que Henry fut proclamé Président d’Hayti, et c’est à cette époque même qu’il s’occupât du projet de réforme universelle qu’il nourrissait depuis long-temps dans son cœur.

Son premier soin fut de rétablir l’ordre dans les finances, en adoptant un système sage et économique: tout à coup, il se fit un grand changement dans la moralité, les mœurs et les manières du peuple : aux vices odieux succéda l’amour de l’honnête et du beau ; le travail, l’activité, la sobriété prirent la place de la paresse, de l’indolence et de la débauche ; alors il était honorable d’être vertueux, chacun s’efforça de le devenir.

L’institution sublime de la monarchie, en donnant au gouvernement une forme stable et solide nous oblige à faire des progrès immenses vers la civilisation; il fallait avoir de l’urbanité, de la courtoisie, des mœurs, pour paraître à la cour, et bientôt les mœurs de la cour se répandit dans toutes les classes de la société.

Jusqu’alors, à défaut de nos propres lois, la justice s’administrait sur les règlemens et ordonnances de nos tyrans: la création du Code Henry vint changer totalement la faces des choses, et fit disparaître jusqu’au dernier vestige du régime colonial: ce code, ne serait-il que le seul ouvrage d’Henry, suffirait pour immortaliser son nom ! dans les négociations, il évita par sa sagesse de tomber dans les pièges de nos ennemis implacables ; il sut déjouer leurs coupables projets et repousser avec horreur leurs odieuses propositions ; et par son énergie et son courage, il releva la gloire du peuple haytien!

Ferme et sage avec les ennemis du dehors, il s’est montré humain, grand et généreux envers les haytiens égarés ; avec des moyens puissans, malgré les provocations d’un insensé, il évita sagement de faire couler le sang haytien, tant pour notre conservation mutuelle que pour ne pas donner des sujets de joie et de triomphe à nos implacables ennemis ! Il s’occupa sans relâche des moyens pour affermir notre liberté et notre [folded line : illegible] et

mises en état de soutenir des siéges [sic] pendant plusieurs années; l’armée fut mise sur un pied formidable, et la population entière reçut des armes. Ce premier soin remplit celui de notre conservation, il s’occupa de notre prospérité intérieure, en tournant ses regards vers l’agriculture et l’instruction publique.

L’instruction publique ! à la vue des bienfaits qu’elle va répandre sur le peuple haytien, quelles actions de grâce et de reconnaissance ne devons-nous pas à notre Roi généreux? Déjà les écoles nationales commencent à s’établir sur le plan et la méthode de Lancaster ; bientôt sera établi le collège royal d’Hayti, où nos jeunes gens pourront s’élancer dans les hautes sciences.

Déjà une académie de dessin et de peinture est établie dans la ville de Sans-Souci.

Des appointemens honorables ont été fixés par le gouvernement aux professeurs et maîtres d’école qui viennent pour se dévouer à l’instruction de la jeunesse.

A l’exemple des Charlemagne, des Alfred et des Pierre-le-Grand, ces bienfaiteurs de leurs peuples, Henry veut introduire dans le royaume les scènes et les arts, il veut nous faire le plus beau présent qu’in Roi puisse faire à son peuple, celui de l ‘instruction et des lumières!

Tandis que nous marchons à grands pas vers la civilisation, nous faisons la triste expérience de l’influence que les gouvernemens ont sur les peuples: tandis que nous parcourons une nouvelle et glorieuse carrière sous un Roi sage et éclairé, par une conséquence bien funeste, mais naturelle,

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la portion de nos compatriotes qui gémissent sous le joug d’un traître, incapable de les gouverner, s’imprègnent de tous les vices, oublient la liberté et la gloire qu’ils ont acquises au prix de tant de sang et de sacrifices, tombent dans la barbarie et dans le dernier degré d’avilissement!

Espérons que nos concitoyens, nos frères, ouvrirons les yeux sur leur déplorable situation ; ah ! s’il ne s’agissait que de leur démontrer leurs vrais intérêts, pour les faire rentrer dans le devoir, pour les ramener à la raison, pour les faire aimer ce qui est juste, bon et sage, ma faible voix serait écoutée sans doute?

Nous n’avons fait que toucher les points élevés que nous avons parcourus; arrêtons un instant nos regards, et voyons ce que nous étions en 1789, ce que nous sommes maintenant, et ce que nous pouvons être, si nous sommes constans et sages, si nous persévérons à vouloir être un peuple civilisé, libre, et indépendant!

Quel prodigieux changement! Tout est disparu, tout a changé de face! on ne peut retrouver l’haytien de 1789, et on reconnaît à peine celui de l’an Ier de l’indépendance! Nos mœurs, nos manières, nos habitudes, ne sont plus les mêmes; ce n’est plus hommes, ni le même gouvernement, ni le même peuple: tout a changé de forme, tout s’est perfectionné, tout s’est consolidé ; on ne reconnaît plus ce peuple malheureux, abruti sous le poids de l’ignorance et de l’esclavage; en sa place, on retrouve aujourd’hui de bons pères de familles, de laborieux cultivateurs, pratiquant les bonnes mœurs et les vertus sociales ; on y retrouve une famille de souverain magnanime, une noblesse héréditaire, des généraux, des magistrats, une armée nombreuse et aguerrie ; tous enfin sortis de ce peuple, jadis si humilié, si dégradé: quelle leçon pour le monde !

C’est à ce Monarque législateur, ô mes concitoyens! c’est à Henry que nous devons cet état de gloire et de prospérité! c’est à ses veilles, à ses peines et à ses travaux que nous devons cette tranquillité profonde qui règne dans nos villes et dans nos provinces ; cette amélioration qui se fait sentir dans le gouvernement et dans toutes les classes de la société! Ces heureux résultats ne sont pas le fruit du hazard, mais bien le produit des sages combinaisons d’un Souverain qui mesure ses pas et ses actions, et marche toujours graduellement, sans précipitation, vers le grand but qu’il se propose d’atteindre!

Bientôt quatorze ans d’indépendance sont écoulés, et nous n’avions pas encore payé un juste tribut d’hommages aux guerriers qui sont morts au champ d’honneur pour cette sublime cause; il manquait à la gloire et à la reconnaissance du peuple haytien un monument qui attestât aux siècles à venir nos immortels travaux! le Roi a satisfait à la dette de la nation, en décrétant qu’une colonne de granit serait élevée au milieu de la place de la citadelle Henry, à la liberté et à l’indépendance! O Henry, poursuis tes glorieuses destinées ! que ton âme active et passionnée pour la gloire nous inspire l’amour de la patrie, de la liberté et de l’indépendance, et nous éleve à tout ce qui est utile et grand! Tu nous a donné des institutions et des lois ; tu veux nous éclairer, en introduisant les sciences et les arts ; tu veux faire de nous un grand peuple; tu viens d’élever une colonne à la liberté et à l’indépendance! poursuis, il ne manquera rien à ta gloire! Quoi? nous voyons de toutes parts s’élever des monumens, des obélisques, des arcs de triomphes, pour manifester le souvenir d’une bataille ou d’un événement ordinaire, et nous qui avons des souvenirs glorieux à perpétuer, nous qui sommes libres et indépendans, nous n’avions pas un monument, pas une colonne, qui attestât aux siècles à venir le souvenir de ce glorieux événement! O regret! ô douleur amère! les ossemens épars des guerriers morts pour l’indépendance dans les champs de la Crête-à-Pierrot, de la Tannerie, du Haut-du-Cap-Henry, à la plaine du Cul-de-Sac, dans les mornes du Petit-Goave et de Tiburon, avaient blanchis sur la poussière, sans qu’ils aient eu un monument élevé par la reconnaissance nationale, pour recueillir leurs cendres! et nous sommes leurs frères, et nous jouissons du fruit de leur sang répandu! O Henry, prince magnanime et généreux! élève à ta gloire cette immortelle colonne où sera gravé sur le bronze les noms des illustres fondateurs de l’indépendance; les noms des traîtres qui ont trahi cette cause sublime et sacrée y seront effacés; cruelle leçon, mais juste châtiment pour ceux qui ont renoncé à l’honneur et à la patrie!… Elève, dis-je, cette colonne immortelle dans l’enceinte de cette citadelle formidable que ton génie créa pour la défense de l’indépendance; c’est en l’embrassant et en lui faisant un rampart de nos corps que nous serons invincibles; qu’un jour, tel qu’aux jeux olympiques, le père en y conduisant son fils puisse lui dire, en regardant ce monument: Tu vois dans quels pays tu es né, on y honore tout ce qui est grand; et toi aussi mérite un jour que ton pays t’honore!

Nous avons extrait d’un ouvrage de M. le baron de Vastey la relation suivante, des crimes et des cruautés de tous genres que les français ont exercés à Hayti.

L’auteur commence ainsi :

Témoin oculaire et auriculaire des faites que je rapporte, on ne peut douter de leur veracité.

Trois hommes devaient être brûlés vifs sur la place Royale, du Cap Henry (alors Cap-Français_. Dès le matin ce bruit circule en ville ; une foule immense se rend sur la place pour voir les appareils de cet horrible auto da-fé, les uns attirés par une cruelle curiosité, les autres pour se convaincre par leurs propres yeux jusqu’où pouvaient aller la barbarie et la cruauté de nos tyrans. Je suivais ces derniers le cœur contristé de l’action horrible qui allait se passer. Arrivé sur la place Royale, je vis deux poteaux plantés, un ayant deux anneaux de fer, et l’autre n’ayant un seul anneau pour recevoir les cous des trois victimes ; des tas de bois sont artistement arrangés autour des poteaux, on y met des copeaux, on y jette du goudron pour rendre la matière inflammable, et le feux plus actif et plus violent. Tout le monde se place à l’entour du bûcher ; les uns ont la tête basse et n’osent lever les yeux pour fixer ce terrible appareil ; les autres [les ex-colons et leurs acolytes] font éclater leur joie.

A trois heures de l’après-midi, le général français Claparède, commandant la ville du Cap, se

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rend sur la place Royale accompagné d’un nombreux état major. Les trois victimes étaient placées dans le corps de garde voisin, en attendant l’heur de leurs supplices; Claparède donne l’ordre de les conduire au bûcher, ils arrivent aux bruits des tambours comme dans une marche triomphale. L’infâme Collet, capitaine de la gendarmerie les précéde, la joie et la férocité sont peintes sur son visage ; chacune des victimes a une canne à sucre dans la main ; elles sont placées sur le bûcher et attachées aux poteaux par les anneaux de fers ; tout est prêt, le sacrifice va se consommer ; un more silence règne parmi les spectateurs; Claparède ordonne de mettre le feu au bûcher ; à l’instant la flamme pétille, les pieds des patiens commence à être embrasés ; on croit déjà entendre leurs cris ; on croit les voir se débattre dans ces horribles tourmens; mais, ô courage stoïque ! ô intrépidité rare ! ils ne remuent pas même les pieds ; ils restent immobiles, les regards fixes, ils bravent leurs bourreau et le feu qui les dévore’ bientôt ils sont enveloppés par les flammes ; leurs corps se fendent, la graisse coule sur le bûcher ; une fumée épaisse s’élève avec une odeur de chair grillée ; l’effroi s’empare des spectateurs, leurs cheveux s’hérissent, une sueur froide coule de leurs corps, chacun fuit et se disperse pénétré d’horreur ; un sentiment de haine et de vengeance s’élève dans le cœur de l’haytien consterné; les bourreaux seuls restent sur la place, et ne se retirent que lorsque leurs victimes sont entièrement réduites en cendres!

Pourrai-je donner à mes lecteurs une description exacte du supplice de mes compatriotes qui ont été dévorés par les chiens ; ma plume peu exercée pourra-t-elle jamais peindre parfaitement un tableau aussi horrible ? L’imagination et l ‘âme sensible de mes lecteurs suppléront à mon défaut d’éloquence et de moyens.

Les premiers hommes qui furent dévorés par les chiens l’ont été au Cap, au couvent des religeuses, et dans la maison du général français Boyer, chef d’état-major de Rochambeau!

Depuis, ils transportèrent le théâtre de cette scène d’horreurs au Haut-du-Cap, sur l’habitation Charrier ; on y avait conduit les dogues, et pour leur donner du goût à dévorer les hommes, ils étaient nourris de temps à autres de chair humaine ; lorsqu’ils avaient quelques victimes à faire dévorer, c’était un jour de fête pour les vourraux : Collet, Forestier, Teissert, Laurent, Darac, commissaires de police de la ville du Cap (tous français, tous ex-colons) s’habillaient de leurs uniformes, et se revêtaient de leurs écharpes municipaux, pour se rendre sur les lieux, accompagnés d’une foule de dogues bipèdes, curieux d’assister à l’horrible curée des dogues quadrupèdes, mille fois moins féroces qu’eux.

Plusieurs jours d’avance, ils avaient eu la précaution de faire jeûner les chiens, pour stimuler leur faim, de temps en temps on leur présentait une victime, que l’on retirait aussitôt que les chiens voulaient s’élancer dessus pour la dévorer ; enfin, le moment fatal arrive où quelques hommes ou femmes vont leur être définitivement livrés ; ces infortunés sont attachés à des poteaux, en présence des commissaires, pour les empêcher de pouvoir se sauver ni de se défendre.

Les dogues sont lâchés ; ils se précipitent sur leurs proies, dans un instant les victimes sont déchirées, leur chair palpitante est en lambeaux, leur sang ruisselle de toutes parts ; on n’entend plus que les cris de la douleur et d’une horrible agonie ; les victimes aux abois implorent la pitié de ces monstres ; en vain ils demandent la mort comme une dernière faveur, prières superflues ; rien ne peut émouvoir le cœur de ces tigres, ils se sont dépouillés de tous sentimens humains : aux accens lamentables de leurs tristes victimes, ils ne répondent que par un ris sardonique et ils continuent à exciter les dogues à mieux dévorer leurs proies. Cependant, la voix des victimes s’est éteinte, l’on n’entend presque plus leurs gémissemens, et leurs cadavres décharnés palpitent encore ; les dogues haletans, sont lassés ; ils sont repus de chair et de sang humains : en vain les bourreaux les excitent encore, ils refusent de continuer leur horrible curée ; on les retire pour les faire rentrer dans leur repaires, et les monstres à figures humaines achèvent d’ôter à coup de poignard le reste de vie de infortunées victimes.

D’un bout de l’île à l’autre les mêmes cruautés se commettaient par les français.

Toussaint Lovuerture s’était démis volontairement de son autorité et avait déposé les armes : retiré sur son habitation, dépouillé de toute sa grandeur, tel que ce romain célèbre, il cultivait de ses mains cette même terre qu’il avait défendue par ses armes ; il nous engageait, par ses paroles et son exemple, à l’imiter, à travailler et à vivre paisiblement au sein de nos familles. Contre la foi de traités, les français l’attirent dans un piège: il est arrêté, chargé de fers; sa femme, ses enfans, sa famille, ses officiers éprouvent son funeste sort. Jetés à bord des vaisseaux français, ils vont en Europe terminer leur malheureuse carrière, par le poison, dans les cachots et dans les fers!

Les généraux Jacques Maurepas et Charles Bélair meurent dans les supplices: Maurepas est cloué vivant sur le grand mat du vaisseau l’Annibal, en présence de son épouse et de ses enfans; son cadavre est jeté à la mer avec toute sa famille : l’infortuné Bélair est fusillé avec son intrépide épouse; cette héroïne avant de mourir brave; Thomany, Domage, Lamahotière, une foule d’officiers et de citoyens de marques éprouvent la mort des scélérats, sont pendus; ceux qui échappent à leurs fers assassins ou aux gibets, meurent par le poison; les généraux Vilate, Léveillé et Gaulard éprouvent ce funeste sort; d’autres sont déportés pour être vendus à la Côte-Ferme ou en France où ils ont terminé leur carrière dans les galères.

Lassés de tant de crimes et de forfaits, nous courâmes aux armes ; nous nous mesurâmes avec nos bourreaux: nous nous battîmes corps à corps, homme pour homme, à coup de pierres et de bâtons ferrés, pour conserver notre liberté, notre existence, celles de nos femmes et de nos enfans. Après avoir versé des flots de notre sang, confondu avec celui de nos tyrans, nous restâmes les maîtres du champ de bataille.

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Au Cap-Henry, Chez P. Roux, imprimeur du Roi.

 

 

27 Août 181627 Octobre 1816

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