3 Janvier 1811

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One of only three issues of La Gazette Officielle from 1811 that appears on this site, these publications record some of the last days of Christophe’s presidency, as he prepared to declare a monarchy in March 1811. Importantly, we observe that the epigraph has once again changed. The citation is now from Voltaire’s 1760 heroic tragedy, Tancrède. The quote reads (which I have translated into English): “Friends! Let there be only one party among us; that of the public good and the safety of all!” Interestingly, this quotation also appears at the head of the August 1805 edition of the French periodical, The Anti-Jacobin Review and Magazine, edited at the time by John Gifford. Importantly, this issue marks the first time the place of publication is noted as Cap-Henry, rather than simply Cap or Cap-Haïtien.

*Provenance:  Beinecke Rare Book and Manuscript Library at Yale University

(  N u m é r o   I.  )

GAZETTE OFFICIELLE

de

L’ É T A T   D ’ H A Y T I ,

Du  J e u d i   3  Janvier 1811 , l’an huitième de l’indépendance.

                                                                                         

Amis !  qu’il ne soit plus qu’un parti parmi nous ,

                  Celui du bien public et du salut de tous !

V o l t a i r e , Tancrède.

                                                                                         

Fin du Détail sur le Voyage de S. A. S.

Monseigneur le P r é s i d e n t.

LE  6 , S. A. S. était à déjeûner , lorsque l’on annonça l’arrivée de MM. Isaac et Baubert , ces deux envoyés de paix. Soudain un silence profond régna de tous côtés , mille sentimens se succédèrent les uns aux autres , et des regards curieux interrogèrent ceux de ces deux hommes de bien : leur abord , leur contenance n’annoncent rien d’affligeant , l’âme flotte indécise , et toutes ses facultés sont absorbées par le doute et la suspension. Aussitôt S. A. S. se leva de table et passa dans son cabinet , où elle invita ses principaux officiers de l’accompagner , pour entendre le résultat de cette importante mission.

On ne tarda pas à connaître les projets des révoltés et leurs réponses à des propositions faites avec autant de désintéressement que de grandeur d’âme. Petion , fidèle à son caractère astucieux, à sa conduite tortueuse , répond d’une manière évasive ; il veut garder en propriété la province du Sud et la partie de celle de l’Ouest qu’il occupe. [ Proposition inadmissible ] il ne peut , comme l’a judicieusement observé le Président , exister deux poids et deux mesures à Hayti , et le pouvoir suprême n’est pas de nature à se partager : Mon cœur , a-t-il dit ? voulait la paix , je l’avais offerte de bon cœur , les rebelles persistent dans leur rébellion , je ne puis ni ne dois abandonner plus long-temps ce territoire aux troubles et aux factions qui le déchirent.

Prince auguste ! le sacrifice de l’amour propre que tu as fait à ton pays ne sera pas perdu pour tes concitoyens , pour les étrangers ni pour la postérité ; elle sera l’écho de tes contemporains , qui reconnaissent que celui – là seul est digne de régner , qui sait sacrifier ses passions au bien public , à volonté de faire le bonheur de ses concitoyens ; que celui-là seul mérite la puissance souveraine , qui a su consolider l’édifice qu’ils ont élevé à la postérité , celui de la liberté , de l’indépendance , de la nature vengée des nombreux outrages que lui ont faits les tyrans de l’humanité , les perturbateurs de l’ordre social.

Pétion, le coupable Pétion accuse les

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douze infortunés militaires du Sud , envoyés en mission auprès de lui , d’être des agens de corruption destinés à soulever ses troupes ; il a refusé de les renvoyer au Président , malgré les instances réitérées de MM. Isaac et Baubert ; ces malheureux ont sans doute cessé d’exister , où l’on a enseveli , avec eux dans les cachots , les renseignemens qu’ils pouvaient donner sur la partie soumise à l’Autorité légitime. Ainsi la loyauté , la justice , aux prises avec le crime et l’infamie , ne pouvaient s’attendre à un meilleur procédé. Ces Messieurs font un tableau touchant de la manière dont ils ont été accueillis par les tristes habitans du Port-aux-Crimes , qui tous désirent la paix , le retour de l’ordre. Ils avouent que le maintien de ces derniers , leurs figures annonçaient assez ce que leurs bouches comprimées par le despotisme n’osaient proférer. La précaution de ne laisser ces députés parler à qui que ce soit , à moins que ce ne fût en public ou en présence de personnes expressément préposées à surveiller leurs entretiens , la manière clandestine avec laquelle ils ont été embarqués en un endroit fort éloigné des cales d’embarquement , le soin qu’on a apporté à fouiller jusques dans leur linge sale , l’escorte qui leur a été donnée d’une barge armée qui les a conduits jusqu’au Mont-Rouis , tout prouve le côté faible des révoltés , tout démontre combien ces traîtres craignent d’ être démasqués. En vain employent-ils les infortunées femmes du Port-aux-Crimes , sans exception , a creuser des fossés et à réparer les fortifications , efforts superflus ! rien ne pourra résister aux coups de notre tonnerre bien dirigé , nos bouches à feu renverseront de fond en comble les forteresses du Port-aux-crimes , comme elles ont pulvérisé celles du Môle , et offriront à nos guerriers un large passage pour aller planter les drapeaux de leur Chef sur le remparts écroulés de la nouvelle Sodôme.

S. A. S. s’occupa , pendant son séjour à Saint-Marc , d’organiser les 3e , 4e et 8e régimens d’infanterie , les premiers d’artillerie et de cavalerie , de nommer aux places vacantes dans ces corps , de réformer les militaires âgés , qui ont été renvoyés à la culture ; la belle tenue des troupes de l’Ouest , leur nombre , leur énergie ont flatté son ardeur martiale ; elle s’appliqua à modérer la bouillante vivacité de ces braves troupes , qui brûlent de franchir l’espace , et accusent la sage lenteur qui recule l’instant de la victoire [ 1 ].

Les principales opérations du Président terminées , S. A. S. partit le 11 de cette ville , et entra à midi au bourg des Verettes, où elle reçut les mêmes demonstrations d’allégresse , les mêmes félicitations , les mêmes cris d’amour et de fidélité. S. A. S. organisa le 2e régiment , et nomma aux places vacantes dans ce corps.

Parmi les danses qui eurent lieu en face du palais , s’est offerte une particularité qui n’est pas indigne d’être rapportée. Quel cœur en entendrait la lecture sans émotion ? Il faudrait qu’il n’eût jamais palpité au doux nom de patrie. Une troupe d’haytiens , d’origine Aoussa ou Taquois , dansait à la manière de leur primitive

                                                                                                                                                           

[ 1 ] Un Officier anglais que , par respect pour la nation , nous nous dispenserons de nommer ( celui-là même qui alla rendre compte à Pétion , dans son camp de Charette , du détournement d’un de nos bâtimens de guerre ) se trouvant à Saint – Marc et voyant défiler la parade , s’écria : Il n’est point de forces que vous ne puissiez vaincre. Hommage flatteur que lui arracha involontairement la force de la vérité. Cet étranger ne voyait que la discipline et la valeur numérique de ces troupes ; mais qu’eût-il dit ? s’il en eût connu le patriotisme et le courage indomptable?

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patrie ; le Président fit appeler un des deux jeunes enfans qu’il amenait avec lui , et qui faisaient partie des nouveaux haytiens introduits en cet Etat par un navire portugais [ 1 ] ; ils se trouvaient précisément être de nation Aoussa , Son Altesse engagea un à danser , au son du tambourin , ce jeune enfant exécuta cette danse avec une vérité , une précision , une agilité étonnantes ; il fut embrassé et caressé par ses anciens compatriotes avec toute l’effusion et la tendresse possibles. On eût dit qu’ils revoyaient en lui les parens auxquels ils ont été ravis. O patrie ! que ton souvenir est touchant ! Qu’il a d’empire sur le cœur des humains ! Ainsi cet indien , transporté au jardin des plantes à Paris , embrassa le bananier chéri qu’il reconnut , et l’inonda de ses larmes.

S. A. S. partit des Verettes le 13 au point du jour , et s’achemina par le bourg de la Petite – Rivière , où elle passa en revue le 10e régiment , qui était descendu dans cet endroit , et le réorganisa à l’instar des autres corps de troupes. Si près de la fameuse Crête à Pierrot , le Président désira revoir encore ce théâtre de la valeur haytienne , ces lieux que quatre des meilleures divisions françaises n’avaient pu enlever que par la famine ; ces lieux où tant de leurs satellites ont mordu la poussière dans des assauts sans cesse répétés infructueusement. Hé bien ! qui le croirait? celui aujourd’hui si renommé , est une monticule que l’ont peut franchir même en voiture , tant sa pente est douce ! Si jamais colonne eût dû être élevée pour perpétuer le souvenir des belles actions , c’est sans doute là qu’elle eût dû être placée , pour rappeler à nos neveux notre énergie , et prouver à la postérité ce que peut l’amour de la patrie échauffé par le doux sentiment de la liberté.

La Crête à Pierrot n’offre plus qu’une éminence abandonnée , mais qui frappe encore les regards du voyageur surpris par les glorieux souvenir que sa gloire a imprimés ; l’herbe , les chardons , les raquettes et les campêches couvrent maintenant les ossemens blanchis de nos ennemis. On voit çà et là dispersés des débris de trains d’artillerie ; tout parle , en ce lieu , aux sens et à l’esprit ; l’imagination reporte sur les scènes qui s’y sont passées. C’est ici que Debelle , présumant trop de sa première attaque , fut repoussé ; c’est là que Boudet , avec sa division , commença la deuxième attaque. Voilà le côté par lequel Rochambeau , alors général de division , attaqua par échelons , et où il manœuvra en retraite si habilement ! Voilà l’endroit où Leclerc , en personne , livra l’assaut , et fut si vigoureusement repoussé, après avoir eu son habit et sa ceinture percés de balles. Là les batteries françaises lançaient la foudre ; c’est par ce chemin que les valeureux défenseurs de la Crête à Pierrot , ayant à leur tête l’immortel Dessalines ; le lieutenant général Magny , alors colonel de la garde du gouverneur Toussaint ; le brave Lamartinière et le colonel Laurent Désir , privés d’eau , de provisions , ayant épuisé leurs munitions , effectuèrent leur évacuation , et se firent jour , à la bayonnette , au milieu des gardes

étonnées de Rochambeau , qui lui-même se sauva , en chemise , dans les bois. Voilà ce qu’on se dit , ce qu’on se rappelle en visitant ce terrein ! Si l’on promène ses regards sur le tableau pittoresque qu’offre un bras égaré de l’Artibonite , serpentant dans la plaine , et si admirablement disposé, qu’il peut , en peu d’heures , par une heu-

                                                                                                                                                           

[ 1 ] Voyez le Numéro 35 de cette Feuille , du 30 Août 1810.

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reuse inondation , rendre impraticables à nos ennemis tous les sentiers de cette vaste plaine ; si l’on contemple ces champs cultivés par des mains libres et guerrières , où le coton et la canne fleurissent à l’envi l’un de l’autre ; si l’on détourne les yeux sur ces riches lisières , où triomphent le maïs , le petit mil et le riz , sur ces gras pâturages , sur ces vertes prairies , où l’agneau et le veau bondissent auprès du poulain élégant , qui essaye contre les vents la vigueur et la souplesse de ses jarrets , on benit le ciel de nous avoir donné le courage et la force de triompher de nos ennemis , et par ce qui a été fait , on obtient aisément la conviction de ce que nous pouvons faire encore contre les entreprises de nos tyrans.

Après l’inspection de ce glorieux théâtre de nos exploits , S. A. S. retourna au bourg des Verettes , d’où après avoir déjeûné , elle partit pour Dessalines , ville chérie de feu S. M. l’Empereur , lieu de prédilection , où il avait été constamment heureux et triomphant. On découvrait déjà cette cité , lorsque S. A. S. jugea a propos d’aller visiter la manufacture de poudres établie à une distance de cette ville.

Cet établissement est un monument de la munificence de l’empereur ; il date de la fondation de notre indépendance. Déjà une nouvelle manufacture de ce genre , plus considérable que la première, rehausse le prix des environs de Sans-Souci. Après avoir examiné jusqu’aux moindres détails et donné de justes éloges aux ouvriers pour la quantité de poudre fabriquée et la finesse du grain ; S. A. S. remonta en voiture et se rendit à Dessalines. Elle fut agréablement surprise de voir que tous les habitans de cette ville l’attendaient à une grande distance de leur résidence , avec des fleurs et des couronnes de lauriers. Les acclamations d’allégresse se sont fait entendre , et le peuple a accompagné S. A. S. jusques dans son palais.

Après quelques instans de repos , S. A. S. visita les manufactures d’armes , où un nombre considérable d’ouvriers est employé à mettre en état les armes des différens corps de troupes de l’Ouest , à confectionner de nouveaux fusils , à changer la monture des vieux par de nouveaux bois faits d’acajou et d’amandier , dont le dessein , le travail et la legéreté peuvent aller de pair avec ce qui se fabrique de mieux en Europe .

S. A. S. fit sa tournée à l’hôpital militaire , donna toutes sortes de consolations aux malades ; elle fut enchantée de l’ordre et de la propreté qui y règnent , et paya un juste tribut d’éloges au médecin Turlin, pour les soins qu’il y apporte.

Le 17 , S. A. S. daigna honorer de sa présence l’union de S. E. M. le maréchal de camp Pierre Cottereau , gouverneur de Dessalines , et donna le bras à son epouse jusqu’à l’église , où S. E. M. le Préfet apostolique leur donna la bénédiction nuptiale. M. le maréchal de camp Pierre Cottereau donna , le soir , un bal , où assistèrent l’état major général de S. A. S. et les principaux officiers en garnison à Dessalines.

Cette ville fut constamment illuminée pendant le séjour qu’y fit le Président ; le 18 , Son Altesse partit dans la nuit , et entra aux Gonaïves à six heures du matin. Là , S. A. S. trouva des dépêches du contre-amiral Bastien Jean – Baptiste , qui lui annonça la prise de deux goëlettes françaises , sur les côtes des révoltés , ayant des éxpéditions et lettres de course en blanc , signés d’Ernouf , ex – gouverneur de la Guadeloupe ; mais navignant sous pavillons suédois et espagnols. Elles ont été déclarées bonnes prises , en conséquence condamnées ; et , comme telles, vendues au profit de l’escadre.

Cette tournée utilement terminée , S. A. S. partit pour cette capitale , où elle était impatiemment attendue , et où tous les bons et fidèles haytiens ont donné l’essor aux sentimens que son auguste présence et ses bontés savent si bien inspirer.

                                                                                                                                                           

Au Cap-Henry , chez P. Roux , imprimeur de l’Etat.

14 Juin 181010 Janvier 1811

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