28 Septembre 1809

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The only article in this issue is called, “Le Tivoli Haytien.” Tivoli is here a reference to a famous 16th-century villa, near Rome. Tivoli, Italy is famous for its terraces, hillsides, and Renaissance-era garden, but it is most well known for its profusion of fountains.  The Tivoli of Haiti is described as the place where President Henry Christophe seeks refuge in order to “distract himself from the painful duty of governing humans.” According to the article, this place of rest and amusement, “worthy of Bacchus,” is located near the northern tip of the capital, Cap-Haïtien, not far from the “craggy rocks” upon which Fort Picolet sits.

*Provenance: Beinecke Rare Book and Manuscript Library at Yale University

(  N u m é r o   39.  )

GAZETTE OFFICIELLE

d e

L’ É T A T   D ’ H A Y T I,

Du   J e u d i   28  Septembre 1809 , l’an sixième de l’indépendance.

                                                                             

Chaque Peuple , à son tour , a brillé sur la terre.

Voltaire , Mahomet.

                                                                                                                 

L E   T I V O L I   H A Y T I E N.

V e r s  la pointe nord de cette capitale, non loin de la roche escarpée sur laquelle le fort Picolet, majestueusement assis , se rit de la fureur des flots , défend l’entrée de la rade , et semble defier les orages , s’offre un rivage charmant , dessiné par la nature en forme de demi-lune , où la mer vient mollement déposer ses eaux , après s’être follement courroucée contre la chaîne de brisans qui couronne le port.

Sur ces bords enchantés est un site pittoresque , où la main seule des fées a pu réunir tout ce qui s’y trouve pour le ravissement des sens et le plaisir des yeux. C’est là que , fuyant une pompe importune , Henry va quelquefois se distraire du pénible soin de gouverner les humains ; entouré de sa naissante famille , au sein de son auguste Epouse , environné d’une société choisie, on le voit s’y livrer aux doux épanchement du cœur , à cette précieuse hilarité , si rarement le partage des grands , et l’âme recueille avec avidité le soupir que dans les bras même de l’ivresse le héros a adressé à la prospérité des haytiens. Ainsi pensait autrefois ce roi pieux et magnanime, qui, loin de l’orgueil du trône , modestement assis au pied d’un chêne , s’occupait , jusques dans la forêt de Vincennes , du bonheur de ses sujets.

Tantôt une galère , richement équipée , a conduit à ce lieu de délices , tantôt des coursiers vigoureux ont été destinés à cet emploi ; et souvent , pour faire une heureuse diversion , les chansons de ceux qui côtoyent , en galoppant , répondent aux acclamations de ceux qui voguent sur les flots.

Bientôt on est arrivé , et l’instant de la réunion est le signal des transports joyeux : l’un se réjouit d’avance des amusemens que la chasse lui promet ; l’autre se complaît dans l’espoir d’une pêche abondante ; celui-ci vrai pourceau d’Epicure , qui n’a pas fondé sa réfection sur les futurs produits de ces deux exercices , aborde le cuisinier , et lui frappant l’épaule , jette un regard dévorant sur ses mêts favoris ; et celui-là , digne suppôt de Bacchus , s’informe , en décoiffant une bouteille , si quelque fâcheux accident ne serait point arrivé au cellier ; mais à peine a-t-on fait quelques pas dans ce séjour , que tous ces beaux projets sont suspendus. Une molle

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langueur se glisse dans les veines , l’œil charmé se promène de beautés en beautés ; l’âme incertaine , erre de sensations en sensations  ; on ne vit plus que pour admirer , et le seul besoin qu’on éprouve est de respirer l’air embaumé que répandent les zéphirs.

Quelle prodigalité des dons de la nature ! quelle richesse ! quelle variété ! les rêveries des poëtes se sont-elles donc ici réalisées , ou les jardins de l’Eden s’y sont-ils tout- à – coup transportés ? Partout l’aimable printemps , inséparable de l’été et de l’automne , tempère ici leur féconde ardeur ; ces trois saisons , compagnes assidues , se tenant par les mains , voyent les trésors de l’Europe et de l’Asie confondues avec ceux de l’Egypte et de ce nouveau monde s’empresser d’éclorre [sic] sous leurs pas.

Quelle source inépuisable de voluptés ! mille petits ruisseaux qui se croisent en tous sens , et qui vont et reviennent sans cesse , comme s’ils voulaient remonter vers leur origine , entretiennent de toutes-parts la vie et la fraîcheur ; leur onde fugitive , sur laquelle viennent de se fixer les regards pensifs de la beauté , annonce par un murmure plaintif qu’elle s’en éloigne à regret. Ici c’est une ruche où l’abeille diligente vient déposer le butin dont elle va composer un cône précieux , et là c’est une grotte creusée par la main du temps , qui doit tout à la simple nature; ses voûtes et ses contours , tapissés de matières cristallisées , font briller à la clarté des flambeaux , les prodiges du hazard ; on dit que le doux repos , les songes flatteurs et le silence du mystère y ont établi leur empire.

Que j’aime ces treilles verdoyantes , où le muscat , étonné de se voir transplanté sur un sol étranger , sourit à la main qui le presse , et s’applaudit de ses pampres flexibles qui , en décrivant mille sinuosités , prêtent un ombrage cher aux grâces et aux amours ! Sous ces allées d’arbres , dont les branches recourbées en berceaux forment un abri impénétrable aux rayons du soleil , si le ramage des oiseaux interrompt quelquefois le silence qui y règne , l’âme enivrée s’abandonne aux charmes de leur innocente mélodie , on soupire , on gémit , on se passionne , on se réjouit avec eux , et long – temps après qu’ils se sont tus , on croit encore les entendre.

Là , le manguier et la pomme cannelle triomphent , où le grenadier fleurit ; près de l’arbre à pain , ce père nourricier , dont le marron farineux et les feuilles larges et polies sont l’ingénieux emblème de l’utile ajouté à l’agréable, le myrte amoureux croît et verdit ; au milieu d’un parterre émaillé de fleurs , l’humble violette et la fraise modeste cherchent à enfouir leurs suaves trésors , mais le palais de nos nymphes et leurs seins naissans en sont bientôt parfumés ; la rose , amoureusement balancée sur sa tige , voit voltiger son amant de la tubéreuse à l’œillet , et des attraits bigarrés de l’œillet à la blancheur du lys ; elle est quelque temps indécise , si le perfide oubliera , pour d’indignes rivales , les faveurs de son sein , bientôt l’inconstant revole vers la reine des fleurs , et son calice odorant s’épanouit. Images adorables ! vous méritez sans doute toute notre attention , et l’éclat même des parterres de Paphos et d’Idalie serait pour vous effacé ; mais de brillantes perspectives nous appellent , il faut céder aux attraits de la nouveauté.

Vers la partie ouest , la pente oblique du côteau s’abaissant en forme d’amphithéâtre , ménage une succession graduée de mille beautés dont l’ensemble s’efforce d’être embrassé par un seul et meme coup-d’œil , et du côté opposé , la mer prolongeant au loin son niveau ondoyant, réserve

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à perte de vue , pour horison , la cîme superbe de la presqu’île connue sous le nom de La grande , orgueilleux intermédiaire des nuées du ciel et des flots de la mer. Vers le sud-est , une campagne immense , qui ne fait qu’un vaste jardin cultivé , déployé sa riante parure à travers la fumée qui s’éloigne des toits de la capitale , et au sud , la forteresse inexpugnable qu’un génie tutélaire a construite , quoiqu’en partie masquée par de sombres nuages , laisse cependant appercevoir l’arsenal du Dieu Mars suspendu dans les airs. L’imagination agrandie par ces aspects imposans , court avec joie se récréer sous les bosquets enchanteurs du Tivoli haytien et retourne à ses tableaux magiques.

Quels objets non encore appréciés se présentent ? une fontaine pure qui jaillit des flancs d’un rochers monstrueux , arrose la prairie , et plus loin une cascade développant ses napes brillantes , va verser son onde limpide dans des bassins , où les Naïades se plaisent , en folâtrant , à contempler les différens reflets des rameaux et des fruits. Les lauriers , les jasmins , les citronniers, les lilas et les cérisiers du pays , dont les murs de cet enclos sont bordés , ajoutent à la beauté du spectacle. Voyez vous cet énorme sapotillier qui couvre le terrain de son ombre ; il a marqué le lieu propice aux plaisirs de la table , et sous son dôme hospitalier plus d’une rasade va inspirer les bons mots , les saillies piquantes et les couplets joyeux. Ce beau moment est arrivé , hâtons-nous d’en jouir.

Sur une table , dont le seul coup-d’œil est ravissant , sont étalés tous les mets et les fruits que fournit l’heureuse alliance du printemps , de l’été et de l’automne ; les convives s’asseyent , et déjà un vin exquis circule dans les verres ; d’abord la fine plaisanterie , le sourir jovial et les propos grâcieux accompagnent les charmes du festin , bientôt on néglige ces jolis riens , on renonce aux bluettes pour ne s’occuper que du héros de la fête. Chacun se demande , avec un sentiment qui participe de la reconnaissance et de l’admiration , comment ce guerrier si redoutable aux champs d’honneur , peut être en même-temps l’hôte le plus attentif , le père le plus tendre et l’amphitrion le plus aimable ; à l’envisager sous tous les points , on ne peut concevoir qu’une portion de frères encore égarés se refuse à sa bienfaisante administration. On déplore leur erreur , on fait des vœux pour leur repentir , et chacun , pour dédommager le vainqueur de cette cruelle injustice , donne un libre essor à sa pensée et à ses chans.

La jeune fille qui entrevoit dans la considération attachée aux bonnes mœurs , dans la protection accordée au nœud conjugal , les douceurs d’un honnête établissement , unissant à sa voix les accords de sa lyre , chante le bon père de famille qui veille au rétablissement des vertus sociales.

La femme sensible , qui ne craint plus qu’à l’appui d’une loi insensée le plus sacré des liens soit rompu , chante l’auguste puissance qui a proscrit le droit de poursuivre une épouse infortunée jusques dans ses enfans.

La tendre mère , qui bientôt , hélas ! allait cesse[r] de l’être , en voyant les jours de son fils coupable à l’abri de tous dangers , bénit la clémence du vainqueur généreux , et baigne de pleurs les pieds du héros.

Le magistrat , en célébrant le retour des lois , rend hommage au pouvoir qui d’une main tient l’épée et de l’autre la balance.

Le guerrier , enflammé au souvenir des exploits de Henry , fait redire ce nom aux échos du rivage , l’enfant le bégaye ,

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les vallées le retiennent , Henry ! vive Henry ! est le cri qu’ils répètent tour à tour ; tandis que l’ami des muses paisibles , plongé dans une noble méditation , saisit les principaux traits qui doivent placer ce nom au temple mémoire.

Le concert des cœurs est terminé ; on se lève , et c’est pour voler à des plaisirs nouveaux : l’un s’arme d’un fusil , l’autre recourt aux filets ; celui-ci tresse des guirlandes de fleurs ; celui -là accorde son instrument ; d’un côté , de amateurs de la course se tenant fermes sur des chevaux fumans de sueur et se penchans sur leurs crins flottans , les excitent de la voix et du geste à remporter le prix , de l’autre d’aimables bergères précipitent leurs pas en cadence sur les gazons fleuris. Tandis que ces scènes mouvantes animent le tableau , quel est ce groupe détaché qui , du haut d’une montagne , plonge sur la mer des regards attentifs? Approchons et examinons.

Quelle invention sublime ! honneur au chef-d’œuvre de l’art ! ce ne sont d’abord que quelques points épars et confus dans le vaste lointain ; mais d’instant en instant ils se débrouillent, se grossissent , et déjà l’on distingue des voiles enflées qui poussent vers nous de nombreux vaisseaux. Secondés d’une brise favorable , élégamment appuyés sur l’un de leurs flancs , ils effleurent la surface des eaux , laissant derrière eux de longs sillons d’écumes. Tout leur sourit , tout leur prospère , et bientôt ils vont rentrer dans le port. Voyez le pavillon d’une nation belliqueuse , et dès long – temps la fille aînée de Neptune, flotter à côté des couleurs d’un peuple républicain ; c’est le Léopard terrible qui protège l’essaim d’abeilles devenu le facteur , le lien commercial du monde entier. Cette forêt flottante est le triomphe de l’homme asservissant les élémens aux lois ingénieuses de la navigation , comme les flots orgueilleux de la porter , réfléchissent fidèlement les divers accidens de lumière qui en résultent !

Accourez spéculateurs intrépides ! venez jouir du succès de votre heureuse audace ; c’est pour couronner vos travaux que la terre , deux fois par an , se couvre ici de ses riches moissons. Le sucre , dont l’excellence est partout si reconnue , le café , dont l’usage est universellement répandu , l’indigo , si vanté dans vos ateliers , où se teignent les étoffes en bleu , le cacao , dont la substance huileuse fournit une boisson si recherchée , et le cotton , dont les brins soyeux , filés par les doigts délicats de vos compagnes , se transforment en vêtemens aussi blancs que la neige; tous ces trésors entassés dans nos magasins , vous offrent leurs tributs. Mais déjà ces vaisseaux ont arrondi le banc périlleux , ils enfilent la passe ; les voilà dans la rade ! et d’un coup de sifflet l’ancre part et se précipite au fond de la mer. Images délicieuses de l’esprit vivifiant du commerce , que ne restez-vous à jamais sous mes yeux ! mais d’aimables convives m’attendent , et je cours partager leurs jeux.

La suite au Numéro prochain.

                                                                       

A  V  I  S.

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A  V  I  S    D  I V  E  R  S.

  1. Le Public est prévenu de ne point faire credit à l’Equipage du navire la Princess Mary , capitaine Hutchinson , de Bristol.

                                                                                                                                               

Au Cap , chez P. Roux, imprimeur de l’Etat.

17 Mars 180812 Octobre 1809

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